V - Une relation juste avec le monde

 

La vie est relation, et pour d�couvrir ce qu�est une vie juste il nous faut d�couvrir ce qu�est une relation juste. Nous sommes en relation avec tout ce qui nous entoure car chaque fois qu�il y a interaction il se produit une r�ponse dans notre conscience, que ce soit � l��gard des gens, de la nature ou d�une id�e. Si cela provoque une r�ponse de l�int�rieur, alors nous sommes en relation.

Ce qui nous diff�rencie des plantes et des animaux, c�est notre capacit� d��tre conscient de nous-m�me, d�imaginer, de penser par nous-m�me, toutes facult�s � et d�autres encore � que l�esprit humain poss�de en abondance. Apr�s tout nous sommes le produit d�un long processus �volutif de la vie et il nous incombe de faire un usage correct de ces facult�s. Permettez-moi d�en �num�rer quelques-unes. La conscience humaine a plusieurs capacit�s : celle de percevoir, d��tre conscient � la fois de ce qui se passe � l�ext�rieur et � l�int�rieur de soi ; d��tre attentif, d�observer. Aucune de ces capacit�s n�est bas�e sur la pens�e. Par cons�quent, bien que la capacit� de penser soit importante et m�me dominante, elle n�est nullement la seule. Puis il y a les capacit�s bas�es sur la pens�e, comme l�imagination, la raison, l��laboration de projets, tout le domaine du savoir, la m�moire et une certaine somme d�intelligence qui va de pair avec la pens�e � une sorte d�exploitation habile de la pens�e. Cette derni�re a permis � l�homme les progr�s scientifiques ou autres qui repr�sentent aussi tout le domaine de ses efforts d�lib�r�s, planifi�s. Puis il y a aussi la capacit� de ressentir. Je ne dis pas du tout que cette derni�re soit totalement dissoci�e de la capacit� de penser car les deux interagissent tr�s �troitement, et nous ne les distinguons ici que pour poursuivre notre �num�ration. Les sentiments de peur, de haine, les sentiments d�amour, de sympathie, sont des exemples de la vaste gamme d��motions dont nous sommes capables. Le sens de la beaut� est aussi une capacit� de l�esprit humain et au-del� il est d�autres capacit�s qui nous sont plus difficiles � percevoir, comme l�intuition. De nombreuses d�couvertes scientifiques furent le fruit non d�un processus de pens�e, non d�un raisonnement logique mais d�une sorte de processus myst�rieux que nous appelons intuition ou vision p�n�trante de quelque chose qui auparavant �tait inconnu � la perception de quelque chose d�enti�rement nouveau. Cette facult� de vision p�n�trante peut faire des incursions dans l�inconnu puis d�crire cette perception de l�inconnu par des mots qui vont s�int�grer au domaine du connu. Cette description devient alors un nouveau savoir, mais ce savoir en lui-m�me n�est pas la vision.

M�me dans le domaine de la science, la profonde perc�e intuitive d�Einstein sur les questions de l�espace et du temps, de la mati�re et de l��nergie et la d�couverte de quelque chose de nouveau, inconnu de la science classique, n�cessitait un saut en dehors du connu. Si son esprit avait �t� attach� au connu de mani�re rigide, s�il avait �t� prisonnier de ce qu�il avait lu et �tudi�, il aurait pu manipuler le connu et inventer quelque chose de nouveau dans le champ du connu mais il n�aurait pas pu faire cette perc�e dans quelque chose de totalement inconnu. Il faut pour cela un bond qui n�est possible qu�en pr�sence d�une certaine libert� � l��gard du connu. La soci�t� accorde une �norme importance aux capacit�s fond�es sur la pens�e, et elle les cultive. Nous v�n�rons le savoir et l��rudition, et l�usage habile de la pens�e. Le monde de la pens�e est un domaine �norme, nous ne devons pas le nier, mais nous ne devons pas pour autant n�gliger les autres capacit�s de notre conscience. Le processus de notre pens�e nous limite si nous permettons � notre conscience de se laisser envahir par lui.

Tant que la pens�e est prise comme un outil d�exploration elle est correctement utilis�e. Mais si nous nous en servons pour �valuer, mesurer, choisir, ce qui nous conduit � aimer ou ne pas aimer telle ou telle chose, alors nous ne nous bornons pas � explorer, nous introduisons nos propres go�ts, d�go�ts et opinions dans la situation et nous nous mettons � cultiver une chose et � en d�nigrer une autre. Si nous sommes en qu�te de la v�rit�, il nous faut �couter et consid�rer toutes les opinions sans les rejeter ni les accepter, sans nous attacher � aucune d�entre elles et la d�fendre. Si nous essayons de d�fendre un point de vue particulier que nous avons adopt� avant de commencer notre exploration, alors cette exploration n�aura aucun sens.

Si nous sommes en qu�te de la v�rit� il importe, d�s le d�but, de lib�rer notre esprit de tout ce que nous pouvons appeler culture mais que quelqu�un d�autre appellerait pr�jug�s. Nous devons accueillir les opinions avec circonspection, � la mani�re des scientifiques. Un scientifique est toujours pr�t � r�viser une th�orie, quel qu�en soit l�auteur. Le plus grand des esprits peut se tromper lui aussi, une chose ne devient pas vraie simplement parce qu�un grand homme l�a affirm�e. Et ce dernier ne cesse pas d��tre grand parce qu�il lui est arriv� d�affirmer quelque chose de faux. Donc nous n�essayons pas de jauger les gens, de forger des autorit�s ou de d�nigrer qui que ce soit car c�est l�exploration qui a de la valeur et non la conclusion.

Nous connaissons l�histoire du Bouddha. Certaines exp�riences �veill�rent en lui des questions. Il vit la mort, la maladie, la vieillesse et la souffrance des �tres humains, et cela fit na�tre en lui une question : quelle est la cause de la souffrance, et est-il possible d�aller au-del� ? En son temps il y avait assur�ment des r�ponses : l�hindouisme avait explor� tout cela et avait donn� des explications. Il �tait instruit dans ce domaine, comme nous l�enseigne sa biographie. Mais ces r�ponses ne le satisfaisaient pas. Il voulait trouver par lui-m�me. Il laissa donc son royaume et partit en qu�te d�une r�ponse. Il rejoignit les yogis de Sarnath pr�s de B�nar�s et pratiqua pendant quelque temps avec eux le hatha yoga, mais ne parvint pas � trouver de r�ponse. Il d�clara alors : � Ceci ne peut �tre le chemin. Je suis devenu si faible que je ne peux m�me pas penser clairement. � Il les quitta donc malgr� le m�pris qu�ils lui t�moign�rent. Mais il continua de chercher. Il ne s�arr�ta que lorsqu�il eut obtenu les r�ponses par lui-m�me, par sa propre m�ditation, sa propre interrogation, sa propre recherche. Alors il trouva l�illumination et devint le Bouddha.

Nous aussi nous voyons la mort, la souffrance et la douleur autour de nous et dans notre propre existence ; cela suscite en nous des questions comme chez le Bouddha et nous avons la m�me conscience humaine que lui. Alors pourquoi notre recherche s�arr�te-t-elle tandis que la sienne s�est poursuivie jusqu�� l�illumination ? Car c�est bien l� ce qui arrive. La qu�te d�un po�te peut aboutir � un beau po�me sur la douleur humaine. Un philosophe, un penseur, en analysera les causes et �crira un article sur ce sujet. Il sera arriv� � une conclusion et sa qu�te aura pris fin. Sa r�ponse � la situation aura eu lieu. Si nous avons affaire � un travailleur social il ira peut-�tre aider les malades, il construira un h�pital, etc., toutes choses qui sont des activit�s nobles. Il est vrai que le travailleur social aide les gens � surmonter leur souffrance physique et leur douleur, mais comme il est pris par cette activit� sa recherche prend fin. Il a trouv� sa r�ponse. L�alcoolique dira que l�existence comporte tant de douleurs qu�il faut s�en d�livrer par l�ivresse et l�oubli et laisser les autres en discuter ! Nous disons qu�il a mis fin � sa recherche de mani�re d�shonorante mais il a trouv� sa propre r�ponse. Le probl�me, c�est qu�aucune de ces personnes n�a d�couvert la v�rit�. Je ne dis pas qu�il ne faut pas d�activit�s sociales, qu�il ne faut pas �crire de po�mes, qu�on a tort d�analyser et d��crire des articles, mais que rien de tout cela ne nous m�nera � la v�rit�. Si nous pouvons faire toutes ces choses sans abandonner notre qu�te, c�est tr�s bien. Mais si nous abandonnons notre qu�te, alors nous n�irons pas loin. D�o� l�importance de ne pas nous pr�cipiter sur des conclusions, ni de chercher des r�ponses.

Donc, faisant bon usage de nos facult�s, examinons cette question de la relation et demandons-nous pourquoi l�homme est tellement en conflit avec tout ce qui l�entoure. D�o� viennent ces probl�mes entre l�homme et la nature ? Peut-�tre que personnellement nous pensons n�avoir pas de grandes difficult�s dans ce domaine. Ce jardin, ces arbres ne nous posent pas de probl�mes, ils n�ont pas de mental, pas d�ego. Ils n�interf�rent pas dans notre existence et nous n�avons aucune r�action � leur �gard. C�est pourquoi il est si facile pour un �tre humain d�avoir une relation avec un animal domestique, avec un chien. Mais il est tr�s difficile de vivre en relation avec son mari ou sa femme, il est plus facile d��tre en relation avec un chien parce qu�il ne nous contredit pas. Voyez la v�rit� de cela. L�arbre ne s�oppose pas � vous. De plus, il est beau. Quand nous regardons le ciel et le monde qui nous entoure quelque chose dans notre psychisme nous fait percevoir que la nature est belle. Chaque fois que nous la contemplons nous trouvons que les couleurs s�accordent entre elles ; c�est l� la d�finition de la beaut� pour l�esprit humain. Quand un homme porte un v�tement nous pouvons trouver que sa chemise verte et son pantalon jaune vont tr�s mal ensemble ; mais ce n�est pas le cas dans la nature, dans les couleurs du ciel. Le soleil, les nuances vari�es de jaune et de vert, les fleurs ne sont jamais d�plaisantes pour l�esprit. Cela vient de ce que nous avons grandi avec la nature et c�est la d�finition m�me de la beaut� pour l�esprit humain. Alors, d�o� viennent les probl�mes �cologiques si la relation de l�homme � la nature ne lui procure qu�un sentiment de grande beaut� ? Nous la recherchons pour nous d�tendre. Quand nous sommes tr�s stress�s nous voulons nous asseoir en silence, alors nous sortons, nous nous asseyons, nous faisons un pique-nique. Nous allons contempler la beaut� de la nature.

Si l�on se tourne vers l�histoire on constate que pendant tr�s longtemps l�homme a v�cu avec la nature, l�a v�n�r�e, a v�n�r� les arbres, le soleil, le ciel, la pluie, a v�cu en harmonie avec tout cela, s�ajustant � la nature comme le font les animaux. Mais quelque part en cours de route, au lieu de rester l�ami de la nature et d�en faire partie, l�homme a commenc� � se sentir important, � se sentir le ma�tre de cette nature et en droit de l�exploiter pour son propre avantage. Lors de la r�volution industrielle beaucoup d�arbres furent abattus pour faire du papier. En vue d�accro�tre la prosp�rit� de la nation on a r�ussi � utiliser l�eau et les rivi�res pour produire de l��lectricit� et cette conception de la nature, consid�r�e non plus comme une amie mais comme une ressource, comme une mati�re premi�re � utiliser pour accro�tre le produit national brut, p�n�tra dans l�esprit humain. C�est un ph�nom�ne r�cent. De nos jours encore nous voyons que les populations tribales ont une attitude amicale � l��gard de la nature. Le villageois de l�Inde v�n�re la vache, �prouve un grand respect pour les fleuves, pour le lever du soleil et pour la pluie. Il ne se plaint pas de ce que la pluie salit ses v�tements, l�emp�che de se d�placer, etc. Il n�a pas ce genre de sentiment. Quand il pleut, il �prouve de la joie. Pour lui la pluie fait partie de la nature et il a toujours eu cette relation avec elle. Mais nous, esprits instruits et scientifiques, nous avons perdu cette qualit� de sentiment � l��gard de notre environnement. Nous nous sommes mis � ne consid�rer un fleuve que comme une ressource, nous demandons : � Comment l�utiliser ? �. Comment utiliser l�arbre ? Nous appr�cions un arbre selon ce qu�il nous donne. S�il ne produit pas de fruits nous souhaitons l�abattre et l� commencent nos torts.

Il n�y a pas de limite � l�avidit� humaine. Il n�y a pas de limite aux d�sirs humains. Nous pouvons accro�tre encore et encore notre exploitation. Mais les ressources naturelles dureront-elles ind�finiment ? Quand nous en faisons un usage d�mesur� ne risquons-nous pas d�en priver les g�n�rations futures ? Nous polluons l�air, l�eau, et ceci peut nous procurer actuellement des conditions de vie confortables, mais qu�en sera-t-il pour les g�n�rations � venir ? En fin de compte, m�me si nous consid�rons la nature comme une ressource, il n�est pas intelligent de l�employer imm�diatement en totalit�. C�est comme si nous d�pensions tout notre argent aujourd�hui et devenions demain des mendiants. Nous nous en gardons bien mais dans le monde moderne, la comp�tition entre les nations � des fins �conomiques conduit � exploiter de plus en plus la nature. Et voici que nous d�couvrons qu�elle a commenc� � r�agir car elle constitue un tout. La Terre, avec son environnement, est pareille � un seul organisme biologique, comme notre corps. Ainsi, si nous d�truisons les arbres, cela affectera d�autres domaines : cela causera des inondations, un r�chauffement plan�taire ; si nous polluons l�air, cela entra�nera un amincissement de la couche d�ozone, cela modifiera la quantit� de chaleur re�ue par la neige, ce qui causera le d�bordement des fleuves et ainsi de suite. Tous ces faits, les scientifiques les d�couvrent � pr�sent. Il y a un �quilibre complexe dans la nature. Rien qu�en utilisant des pesticides et des fertilisants, pour obtenir aujourd�hui une meilleure production, nous cr�ons une d�sertification du sol car son processus normal de r�g�n�ration par les insectes est entrav�. Nous d�couvrons donc que notre d�sir de progresser rapidement aboutit � un �puisement des ressources et se r�v�le d�savantageux. La nature avertit l�homme qu�il d�passe les bornes, qu�il va trop vite.

Pour d�couvrir la relation juste avec la nature, il nous faut examiner s�il est plus sens� de continuer de l�exploiter pour satisfaire des d�sirs illimit�s issus de l�avidit� humaine ou d�adapter cette avidit� et ces d�sirs aux possibilit�s d�une plan�te limit�e. C�est l� que se situe le changement de perspective indispensable. Nous devons nous consid�rer comme faisant partie de la nature � ce qui est le cas et l�a toujours �t� en fait � sinon il en r�sultera des conflits et des d�sastres nombreux. Le vrai probl�me est donc notre vision des choses, et vivre de mani�re juste requiert qu�on ait une juste vision des choses et qu�on se laisse enseigner par le villageois ignorant de l�Inde ! Oubliez tout votre savoir et tous vos livres, laissez-vous instruire par cet homme simple qui a une relation plus intelligente avec la nature que nous autres avec tout notre savoir scientifique !

Consid�rons maintenant notre relation aux id�es et voyons pourquoi on y trouve le conflit. Des gens diff�rents ont des id�es diff�rentes. Il y a ceux qui croient dans le mariage et ceux qui croient en l�amour libre. Il y a des gens qui croient qu�il faut �tre v�g�tarien, et d�autres qui ne le croient pas. Il y a les id�es du bouddhisme et celles du christianisme, et l�id�e du nationalisme. A quel moment une id�e devient-elle un probl�me ? Et pourquoi le devient-elle alors qu�elle n�est qu�une chose imaginaire ? Elle n�est qu�un point de vue particulier, elle n�est pas n�cessairement la v�rit�, mais si nous nous attachons � une id�e et que nous nous mettons � dire : � C�est mon id�e, c�est mon opinion �, les ennuis commencent. Ensuite, si l�on forme un groupe autour de cette id�e, voil� que le groupe lui doit all�geance et veut la propager. Il ne souhaite pas explorer cette id�e, il veut y convertir les autres.

De nos jours, l�humanit� est divis�e en groupes et qu�il s�agisse de groupes nationaux, de groupes religieux ou de groupes ethniques, ils sont tous bas�s sur une id�e. Le fait que je suis n� en Inde dans une ville donn�e ne cr�e pas de divisions, ce qui en cr�e c�est l�id�e que je suis indien et le fait que je me conforme toujours � ce que font les indiens et que je me sens en quelque sorte concern� par la s�curit� et le bien-�tre de ce groupe auquel j�appartiens. Autrement, le fait que je sois n� dans cette ville particuli�re, localis�e en Inde, qu�on nomme Madras n�est qu�un fait g�ographique. La division a cr�� plus d�ins�curit� pour l�humanit� tout enti�re que n�importe quel autre facteur. C�est pourquoi il nous importe de comprendre notre juste relation aux id�es et de voir s�il est possible de rester, en tant qu�individu, sans attaches, sans appartenance � aucun groupe, pas m�me � notre nation, � notre culture, � notre religion, except�, comme je l�ai dit, dans un sens factuel.

Cette qu�te de la v�rit� ne cr�e pas de divisions car il ne s�agit que d�un int�r�t. C�est ce qui se passe dans un groupe scientifique. Si je dis : � Cela m�int�resse d�essayer de savoir pourquoi le Soleil brille �, tout va bien. Cela nous int�resse tous de savoir pourquoi le Soleil brille. Nous formons donc un groupe � solaire � qui a pour vocation d��tudier le Soleil. Ce n�est pas l� un groupe psychologique. Aucun sentiment de s�curit� n�y est attach�. C�est un groupe fonctionnel. De cette mani�re donc, si nous disons que nous sommes des th�osophes dans le sens que nous nous int�ressons tous au fait d�aller au-del� de toute religion, de tout savoir et de d�couvrir ce qui est vrai, alors nous constituons un groupe fonctionnel au m�me titre qu�un h�pital ou un bureau de poste. Ces derniers ne cr�ent pas de divisions au sein de l�humanit�. Mais si nous disons : � Nous croyons tous aux id�es de Madame Blavatsky, Blavatsky a �t� notre leader, toute la v�rit� est contenue dans la Doctrine secr�te et je vais vous y convertir �, alors il n�y a aucune diff�rence entre un th�osophe, un chr�tien ou un hindou qui essaient de convertir les gens � leur conviction. Ce type d�activit� n�a rien � voir avec la recherche de la v�rit�, elle n�est qu�un mauvais usage de la pens�e. C�est pourquoi, qu�il soit juste ou non d�adh�rer � la Soci�t� th�osophique d�pend de la fa�on dont nous la consid�rons, dont nous nous relions � elle et de notre motivation.

Et qu�en est-il de notre relation aux choses, aux maisons, aux biens, � l�argent ? Ces choses sont toutes causes de d�sirs, n�est-ce pas ? Nous sortons, nous voyons la maison de quelqu�un d�autre et nous constatons qu�il a une grande maison et un beau jardin, et nous pas ; cela fait na�tre un d�sir : nous voudrions poss�der une maison et un jardin semblables. Et le probl�me commence. La comparaison engendre l�envie. Nous rendons visite � quelqu�un qui habite au bord de la mer, dans une maison qui jouit d�une belle vue. On voit la mer depuis cette maison et cela nous enchante, et c�est tr�s bien ainsi. Mais ensuite nous voudrions avoir cette vue tous les jours et ce d�sir engendre le probl�me. Puis nous voulons une plus grande maison, une plus grande voiture, une piscine � l�arri�re de la maison, et ainsi de suite. Et nous voil� pris par le souci de ne pas se trouver en reste avec les voisins. Alors l�argent devient terriblement important car l�argent n�a d�autre valeur dans notre existence que celle que nous donnons aux choses qu�il peut acheter. Il nous faut examiner pourquoi les choses qu�il peut acheter sont devenues si importantes pour nous. Il peut avoir de l�importance pour un Indien vivant dans un taudis, parce qu�il a faim, qu�il est malade ou qu�il n�a pas les moyens d�acheter des m�dicaments pour soigner son enfant. A ce niveau, bien s�r que l�argent est important puisqu�il s�agit de survie ! Mais la plupart d�entre nous n�en sont pas r�duits � leur survie, et pourtant ils connaissent ce probl�me. Notre �ducation nous y a entra�n�s parce que nous grandissons dans une soci�t� o� tout le monde accorde une grande valeur � l�argent. La soci�t� nous le jette � la figure. La t�l�vision nous montre tous ces parfums, tous ces gadgets qui ne sont fabriqu�s que pour faire de l�argent. Quand nous voyons une nouveaut�, un nouveau gadget, nous sommes attir�s et les m�dias exploitent notre d�sir pour faire des affaires et augmenter leur chiffre. Nous sommes conscients de tout cela.

Alors pourquoi l�argent provoque-t-il en nous ce d�sir ? Pourquoi l�esprit cherche-t-il toujours quelque chose de plus, quelque chose de nouveau, quelque chose de diff�rent ? Parce que nous sommes constamment en proie � l�ennui. Quand nous �prouvons de l�ennui il devient terriblement important d�y �chapper gr�ce � quelque nouveau jouet, quelque nouveau gadget parce que temporairement, l�acquisition d�une nouvelle maison, d�une nouvelle voiture, d�un nouvel objet nous fait oublier notre ennui ; cela nous stimule. Le probl�me n�est donc pas le nouveau gadget. Si la joie nous habite, si nous vivons pleinement, nous pouvons l�acheter ou pas. L�on nous le propose dans la boutique ? nous ne sommes pas oblig� de le prendre. Pour l�acheter il faut de l�argent et pour en avoir il faut faire des heures suppl�mentaires. Et nous voil� submerg� par toutes sortes d�enjeux conflictuels parce que nous avons divis� notre existence entre le travail qui nous permet de gagner de l�argent et l�utilisation de cet argent pour acheter du plaisir. C�est pourquoi il faut nous demander s�il est possible de vivre d�une mani�re totalement diff�rente : � savoir, aimer ce que nous faisons, ne pas s�parer le travail du plaisir. Cela signifie que nous devons choisir le travail qui nous donne de la joie, et pas n�cessairement celui qui nous fait gagner le plus d�argent. Mais aujourd�hui, � l�universit� ou au lyc�e, nous incitons l�individu � d�velopper une capacit� donn�e, une certaine comp�tence intellectuelle puis nous l�encourageons � vendre son cerveau sur le march�, au plus offrant. Il s�en va travailler pour celui qui lui propose le salaire le plus �lev� parce qu�il pense qu�avec un tel salaire il aura des vacances, une grande maison, etc. Mais si nous faisons un travail qui ne nous int�resse pas le conflit sera in�vitable. Tout commence par cette attitude qui consiste � acheter de plus en plus de plaisir. Et c�est devenu important parce qu�il y a l�ennui, et il y a ennui parce qu�il y a insensibilit�.

Donc la vraie question se r�sume � ceci : pourquoi sommes-nous devenu si insensible � ce qui nous entoure ? Si nous vivons pr�s de la mer nous y devenons indiff�rent. Au bout de quelque temps cette vue de la fen�tre ne signifie plus rien. Nous disons que nous la connaissons, que c�est toujours le m�me fichu spectacle ! Nous avons d�j� vu la tour Eiffel, alors nous n�avons plus besoin d�y aller. Nous avons visit� ce mus�e� ce qui veut dire que nous nous bornons � cocher une liste. Tant que la chose est nouvelle elle a de la valeur. Quand elle perd sa nouveaut� elle devient ennuyeuse. Nous avons perdu notre sensibilit� parce que chaque jour cet arbre et ce parc ne sont nouveaux que si nous avons des yeux pour voir. Chaque jour est diff�rent et notre relation � ce qui nous entoure peut �tre emplie d�extase, de joie, mais comme l�esprit est sans cesse occup� � rechercher le plaisir, � rechercher certaines formes d��vasion, il n�y pr�te pas attention. C�est donc un cercle vicieux : nous nous ennuyons, cela nous pousse � chercher la nouveaut�, et comme l�esprit est toujours en qu�te de ce qui est nouveau son attention n�est pas dirig�e sur ce qui est. En r�alit� la vie nous offre une infinit� de choses, si bien que tout nouveau plaisir ajout� aux autres n�est qu�une illusion. Nous ajoutons une chose � une infinit� et d�s que nous avons ajout� cette chose, elle nous ennuie pour la m�me raison que toutes les autres l�ont fait.

C�est pourquoi le probl�me n�est pas de trouver le moyen de nous procurer un nouveau gadget qui nous amusera, c�est de d�couvrir le moyen de ne jamais nous ennuyer : explorer l�ennui et d�livrer l�esprit de cette maladie, ne pas la fuir. Si nous pouvons �tre heureux avec notre simple petit appartement, notre petite voiture ou notre bicyclette, avec notre sant�, avec le ciel, les arbres et tout ce qui fait partie de notre existence, alors il peut y avoir en cela m�me une joie immense. C�est donc notre d�pendance � l��gard des choses, notre possessivit�, notre d�sir int�rieur, notre soif de quelque chose de plus, de quelque chose de nouveau qui cr�e le probl�me. Ce n�est pas la chose en elle-m�me, cette ch�re petite maison, qui est le probl�me, mais notre mani�re de la regarder. Pourquoi �prouvons-nous des difficult�s dans nos relations aux autres ? Ce sont des �tres humains comme nous, et pourtant c�est devenu un grand probl�me � travers le monde. Dans la soci�t� moderne, la famille, l�amiti�, la coop�ration s�effondrent. Il est tr�s rare de rencontrer des gens qui travaillent en coop�ration dans un service. Cela ne signifie pas qu�il faille toujours dire oui, ce n�est pas cela, la coop�ration. Il peut exister une forme d�amiti� dans laquelle l�accord ou le d�saccord ne font aucune diff�rence. Et si nous consid�rons ce point nous d�couvrirons encore que tant que nous donnerons de l�importance � nos d�sirs, � nos opinions personnelles, et que nous maintiendrons que notre famille et le reste du monde doivent �tre de notre avis, alors nous cr�erons des conflits au sein de la relation. Si nous exigeons beaucoup des autres : � Ma femme doit faire telle chose pour moi, se comporter de telle mani�re pour que je l�aime �, alors le conflit est in�vitable. Cette id�e que les autres sont l� pour satisfaire mes d�sirs doit �tre mise en question. Est-il possible de ne pas exploiter la nature, de ne pas exploiter d�autres �tres humains pour notre b�n�fice personnel ? Peu importe que tel de nos d�sirs soit satisfait ou pas ; et si nous exigeons qu�il soit satisfait et par telle personne, cela cr�era une d�pendance � son �gard. Et nous nous sentirons seul si cette personne n�est pas l� parce que nous nous en servons pour �chapper � notre solitude. En agissant de la sorte, nous cr�ons une d�pendance qui � son tour cr�e un conflit, et la peur de perdre cette personne. Donc, pour vivre d�une mani�re juste nous devons nous poser cette question : pouvons-nous �tre ami sans demander quoi que ce soit ? �tre ami sans raison. Aimer quelqu�un sans raison. Ne pas aimer notre femme parce qu�elle est belle, parce qu�elle fait telle ou telle chose, mais ind�pendamment de tout cela. Pour cela, il nous faut d�couvrir ce qu�est r�ellement l�amour. L�amour existe-t-il, ou toute relation est-elle bas�e sur une gratification r�ciproque ? Dans ce cas, tant que vous me comblez et que je vous comble, nous avons une relation formidable mais le jour o� vous cessez de r�pondre � mes attentes, elle prend fin. Alors c�est quelque chose qui ressemble � un contrat, ce n�est pas une vraie relation d�amour ou d�amiti�. Donc dans toutes les sortes de relations que nous avons examin�es � que ce soit avec la nature, avec les id�es, avec les gens, avec les choses � nous avons d�couvert que c�est notre mani�re de voir, notre attitude qui sont � l�origine des probl�mes.

Le probl�me n�est pas l� bas, il est � l�int�rieur de moi, c�est la premi�re chose qu�il faut comprendre. Est-ce que nous abordons la vie d�une mani�re fausse, en cherchant � tirer profit de tout ? Tant que ce sera l� le fondement de notre relation nous aborderons la vie en fait comme un mendiant, mais ce dernier est du moins assez honn�te pour tendre son chapeau et dire : � Donnez-moi de l�argent, j�en ai besoin �. Quant � nous, nous tendons nos s�biles invisibles autour de nous, et dans nos relations nous d�couvrons que sans l�exprimer nous disons : � Donnez-moi votre estime, donnez-moi du r�confort, donnez-moi du plaisir sexuel �. Et de celui qui met quelque chose dans notre s�bile invisible, nous disons : � C�est un brave homme, c�est mon ami. � Il nous faut essayer de vivre sans tendre une seule s�bile, essayer d�avoir purement une relation d�ami, sans rien attendre. Peut-�tre que c�est l� l�amour v�ritable. Tout ceci revient � dire que le c�ur de tous les probl�mes, c�est le � moi �, l�� ego �. Tant que l�activit� est �gocentrique, qu�elle recherche la satisfaction pour elle-m�me, alors toute relation est bas�e sur cette attitude de mani�re subtile ou grossi�re, et le conflit appara�tra in�vitablement � les � j�aime � et � je n�aime pas �, les divisions, les groupes, la domination, les parties de bras de fer. L�un utilisera un fusil, l�autre restera sur le plan psychologique, mais tout le monde se comportera ainsi tant que nous vivrons pour accro�tre notre propre plaisir, nos propres avantages, nos propres gains. Si tel est notre but essentiel, si telle est notre attitude dans la vie, j�ai grand peur que nous ne d�couvrions jamais ce qu�est une relation juste.